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Un autre monde en Aveyron

Le Marché Paysan, c’est épatant !

Depuis une année que nous habitons dans la région des Grands Causses, nous avons pris quelques habitudes concernant nos achats, et un commerce très particulier nous a été conseillé un jour : le Marché Paysan. Non, ce n’est pas un marché comme les autres, primo parce que ce n’est pas un étalage de tout et de rien sur le trottoir un jour bien précis de la semaine, secundo parce que comme son nom l’indique, il est exclusivement paysan, et donc il n’y a que des produits locaux (à quelques exceptions près) produits par des producteurs locaux.

Alors, ce marché paysan ? C’est un local désaffecté, perdu au fond d’une impasse, même pas en plein centre ville de Millau (enfin, pas bien loin quand même, Millau n’étant pas une mégalopole). Cependant, je n’ai eu aucun mal à le trouver, car il est bien indiqué par des panneaux de signalisation faits maison. On trouve également des plaquettes présentant l’initiative et les lieux dans certaines enseignes de Millau. Et quand on rentre dans le magasin, la première fois peut-être avec un peu d’appréhension, vu les lieux, on découvre avec surprise qu’il est très bien achalandé, ce marché !

Dans cette caverne d’Ali Baba caussenarde, des paniers en osiers sont à disposition - comme à la BIOCOOP de Prades, qui à mon avis est une des meilleures de France, si si ! - pour y mettre nos amplettes. Juste à côté, des huiles essentielles, des tisanes, et un rayon de fruits et légumes est plutôt complet. Certes, nous n’y trouvons pas de fraises en décembre, mais le plaisir de déguster des végétaux de saison, parfois en bio, et toujours cultivés avec amour - ça se sent, ces choses-là ! Un peu plus loin, des confitures variées et on ne peut plus artisanales jouxtent des jus de fruits (pomme, raison, coing) délicieux, en face desquels trônent sur des étagères des trésors de charcuteries. A côté, des plats cuisinés typiques en conserve font saliver à tous les coups Jérôme.

Au fond, un rayon de produits (pas qu’alimentaires) issus du commerce équitable offrent une palette simple mais essentielle de ce qui ne sera jamais produits ici : du riz, du sucre, du chocolat, du savon artisanal, etc. Parmi ces produits, le hasard a placé là des bières locales. Certainement parce qu’il y a aussi là des jus et des sodas toujours du même commerce équitable, et que toutes les boissons ont donc été stockées au même endroit, logiquement. Mais de toute façon, ces bières, comme les autres marchandises à vendre ici sont autant du commerce équitable que les denrées venues d’autres latitudes, non ? L’équité est là, la même, mais juste sous nos yeux, envers notre voisin, dans notre bourgade ou presque. Trop fort, ce marché paysan !

On arrive ensuite au rayon frais, avec d’un côté les fromages, de l’autre la viande. Et là, surprise : non, i ln’y a pas que le formage de brebis en Aveyron, i ly a aussi du chèvre et du vache ! Et pas mauvais du tout... Et encore plus grande surprise, pour moi qui ai passé quelques années dans les Pyrénées-Orientales, un nom sur des étiquettes plantées dans des morceaux de viande : Emilian... Ca me dit quelque chose... à la ferme de Toulousette, sur le Méjean... Mais oui ! Je l’ai rencontré brièvement à l’occasion, pour le Parc National des Cévennes, il y a encore plus longtemps avant les P.O ! Waouh... Et en plus, ce nom m’était resté bien en tête, car j’en ai entendu parlé pile poil dans le tout petit village planté sur le Mont Coronat que j’ai tant arpenté pour le boulot. Et oui, le gars s’était fait jeté comme un mal propre de Gabatx - traduisez du catalan par "audois" voire pire, "étranger" ! - quand il avait voulu s’installer en tant qu’éleveur de brebis. Et en arrivant à Jujols, ça m’avait fait sourire de voir qu’il le maltraitait autant tandis que je connaissais sa situation d’alors, pas mauvaise du tout sur le Méjean. Et voilà que je le retrouve (enfin, ses cochons !) à Millau, dans ce sacré marché paysan ! Il a encore fait du chemin, et pas vilain encore ! Ah, s’ils l’avaient gardé à Jujols... On aurait pu faire du bon boulot. Tant pis pour eux, tant mieux pour lui et le Méjean, et mon estomac nouvellement aveyronnais.

Enfin, laissons de côté mes souvenirs pyrénéens et ceux de ma jeunesse dans les Cévennes, et continuons notre découverte dudit marché... Un étal de miel et produits dérivés me tend les bras, inutile de résister, je fais mes provisions pour l’hiver, et même plus ! Du miel bio encore moins cher et meilleur que du miel pas bio ! Pas folle la guêpe, je prends. Et après ? Des olives, des tapenades, encore quelques conserves de pâtés, et pour finir, un dernier rayon frais, avec des produits laitiers encore (mais pas du fromage, rien que des yahourts, fromages blancs, lait entier cru, faisselles ; des truites du Larzac (- la première fois, ça fait bizarre, des "truites du Larzac", mais quand on y a goûté, on s’y fait très rapidement - et de la gelée royale.

Après tout ça, reste le pain, remisé dans une grosse huche en bois d’autrefois, et la caisse, avec derrière un panneau du Sud Aveyron, et la localisation des différents producteurs vendant dans ce marché paysan. Et la surprise est agréable jusqu’au bout, car finalement, au moment de payer, on s’aperçoit que la note n’est pas si salée qu’on pourrait le craindre... Ainsi on peut bénéficier de la qualité, bio en partie et quoi qu’il en soit 100 % équitable sans avoir un compte en banque de bobo parisien ? Génial ce marché paysan pour consommateurs paysans avec un compte en banque... qui est modeste, mais désormais suffisant pour consommer de la qualité durable humainement et écologiquement.

E-PA-TANT, ce Marché Paysan de Millau. Et alors que maintenant j’y vais de façon hebdomadaire depuis des mois, voilà qu’un jour une affiche invite les clients à venir un dimanche midi pour rencontrer les producteurs du Marché autour d’un apéritif dînatoire. Moi, je comprends qu’il y aura un apéro, un petit débat, et qu’ensuite on retrouvera tous nos pénates pour le déjeuner dominical. Et zou, le dimanche 5 octobre, on rapplique en famille au Marché Paysan. Mais ce jour-là encore une surprise nous attend : de longues tables sont dressées devant les locaux, une plancha préchauffe, et tous les acteurs de ce regroupement s’activent.

En fait d’apéritif dînatoire, il y a un méga apéritif suivi d’un repas complet concocté avec tous leurs produits. On nous explique qu’en fait, ils ne l’avaient pas précisé dans l’invitation, mais il s’agit en réalité de fêter le 5ème anniversaire du Marché Paysan. Toasts de charcuterie, de tapenades, de confiture d’oignons, de Tardidou - c’est un produit unique, succulent, qui peut servir à faire sensation auprès de ses invités - et même des assiettes de carpaccio de truite, le tout accompagné de vins, bières et jus de fruits produits par eux encore et toujours. Pour ce qui est du repas à proprement parlé, il y avait des saucisses de porc et de mouton, des merguez, avec des tomates, des concombres, du bon pain, une salade de lentilles. Là, on s’est dit qu’ils faisaient fort. Mais le repas ne s’arrêtait pas là : il y a eu le fromage (des plateaux énormes et diversifiés), du raisin noir et en dessert du Yadou à la verveine sur lit de speculoos brisés avec une cuillerée de confiture de gratte-culs ou de miel d’accacia. Là, on s’est dit que c’était fini, mais non, il y a eu le café ou l’infusion. Et là, on s’est dit qu’il ne manquait plus qu’une chose : un p’tit coup de gnôle pour digérer ce repas pantagruélique. Mais là, il n’y en avait pas, c’était fini ! Cela dit, finalement le digestif n’était pas nécessaire pour digérer ce repas fabuleux, tant il était bien préparé.

Vraiment, ils ont épaté tous leurs habitués, ceux du Marché Paysan. Vous en connaissez beaucoup, vous, des commerçants qui offrent un repas aussi riche en goûts, en saveurs, à leurs clients (plus ou moins fortunés, plus ou moins réguliers... Vient qui veut !) juste pour partager un moment et mieux se connaître ?

Personnellement, c’est la première fois que cela nous arrivait. En outre ce moment convivial était d’autant plus exceptionnel qu’ensuite un petit film sur l’agro-alimentaire nous a été diffusé, très révélateur sur les consommateurs que nous choisissons d’être chacun. Pour finir, avant de nous quitter, vers 16 h, nous avons pu nous exprimer (ou non : on a le droit d’être timide) quant à nos attentes ou questions sur le Marché Paysan. J’avoue que ce qui m’a le plus plu dans cet échange, c’est qu’il est clairement apparu des "désaccords" et des "conciliations" entre les différents producteurs qui sont parties prenantes dans ce Marché Paysan, et que cela m’a paru être un lieu de réelle démocratie participative et intelligente, du concret et pas seulement des mots pour faire bien. Les choses ne sont pas évidentes à décider entre eux, ils ne s’en sont pas cachés, mais ils trouvent des solutions et un chemin commun pour avancer ensemble, et même laisser la porte ouverte aux nouveaux porteurs de projets qu’ils sont dans la même ligne directrice qu’eux : vivre au pays de son travail, dignement, en offrant des produits de qualité et au juste prix pour tout le monde. Tout cela laisse rêveur, et surtout, malgré certaines difficultés d’organisation, ça nous a laissés optimistes pour la suite, et ça fait du bien de temps en temps, un peu de positif.

Pour ce dimanche pas comme les autres, chapeau bas à tous ceux du Marché Paysan.

Alors, elle est pas belle la vie à Millau ?


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